Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article NOXALIS ACTIO

NOXALIS ACTIO. Action donnée contre un chef de famille en raison de certains délits commis par une personne en sa puissance, contre un propriétaire en raison du dommage causé à autrui par ses animaux. Le chef de famille ou le propriétaire est tenu de livrer à la victime l'auteur du délit ou du dommage, ou de réparer le préjudice causé'. L'action noxale est donnée en vertu, d'un principe général que l'on peut ainsi formuler : nul n'est responsable du délit commis par une personne en sa puissance ou du dommage causé par une chose dont il est propriétaire; mais il doit tout au moins abandonner à la victime la personne ou la chose qui a causé le dommage2. L'abandon noxal est pour la victime une compensation. On envisagera d'abord les cas où l'action noxale est donnée en raison du délit commis par une personne en puissance. 1. Conditions requises pour l'exercice d'une action noxale. Trois conditions sont nécessaires. 11 faut un délit déterminé par la loi ou par l'édit du Préteur, commis par une personne en puissance, au préjudice d'un tiers. 1° L'action noxale n'a été admise par la loi des Douze Tables que dans deux cas : pour un vol non manifeste, pour un dommage causé à autrui Dans tout autre cas, la personne en puissance est punie de la manière suivante : a) pour un vol manifeste, le chef de famille est mis en demeure, par un décret du magistrat, de livrer l'auteur dit délit pour être battu de verges; puis l'esclave est précipité du haut de la roche Tarpéienne, le fils de famille attribué à la victime du vol pour être vendu à l'étranger' ; b) en cas de rupture d'un membre, la peine encourue est celle du talion 5 ; c) en cas d'injure, la victime porte plainte au chef de famille, magistrat domestique, qui punira le délinquant en présence de l'offensé L'action noxale a été étendue par des lois subséquentes aux délits prévus par les lois Aquilia 7 et Plaetoria a [LEX, p. 1130 et 1158 ; MINOR, p. 1931]. Elle a surtout reçu une large application grâce à l'édit du Préteur nombre d'actions délictuelles prétoriennes se donnent comme actions noxales. Cette généralisation est la conséquence de l'extension à tous les délits du principe de la réparation pécuniaire, et de l'abolition, sous l'Empire, des derniers vestiges du système de la vengeance privée et de celui des compositions légales qui subsistaient en matière de vol et d'injures 10. 2° L'action noxale suppose un délit commis par une personne en puissance" : fils et filles de famille, femmes in manu, esclaves, personnes in mancipio ". Sous Justinien, elle n'est plus admise que pour les délits commis par les esclaves t3. Les personnes sui juris sont passibles d'une action directe et supportent intégralement les conséquences légales du délit qu'elles ont commis. 3° Le délit doit avoir été commis au préjudice d'un tiers. Si la victime est le chef de la famille, ou une personne placée sous la même puissance que le délinquant, l'action noxale ne sera pas recevable, alors même que le lien de puissance serait ultérieurement rompu '4. Le chef de famille avait toute latitude, en qualité de magistrat domestique, pour punir le délinquant ; s'il ne l'a pas fait, et qu'il ait aliéné son esclave, donné son fils en adoption, il n'est pas admis à demander réparation à l'acquéreur ou au père adoptif. Cette règle, déjà consacrée par les jurisconsultes du temps de la République 17, a été étendue par les Sabiniens au cas où le délinquant est passé sous la puissance de sa victime depuis que le délita été commis' ° :l'action noxale n'est plus possible, alors même que le délinquant passerait ensuite sous la puissance d'un tiers. NOX 113 NOX II. Des personnes contre lesquelles se donne l'action noxale. L'action noxale se donne contre celui qui a le délinquant en sa puissance au moment où le procès est lié. Cela suppose la réunion de trois conditions : il faut d'abord que le défendeur ait la puissance en droit et en fait ; par exemple, s'il s'agit d'un esclave, qu'il en ait la propriété et la possession. Il faut ensuite qu'il ait la possibilité d'exhiber l'auteur du délit'. Pas de difficultés si l'esclave est conduit devant le magistrat par son maître ou si, en son absence, celui-ci consent à le défendre. Mais si le maître refuse de le défendre tout en reconnaissant qu'il est propriétaire, on le punit en le condamnant à réparer le préjudice causé 2 ; on lui retire la faculté de faire l'abandon noxal. Quand, au contraire, le maître nie que l'esclave soit en sa puissance, l'existence des deux premières conditions doit être constatée au moyen d'interrogations spéciales adressées par le demandeur au défendeur en présence du magistrat3 [Jus, p. 74/4, n. 11] : le défendeur qui refuse de répondre ou fait une déclaration mensongère est traité comme s'il avait personnellement commis le délit'. Le demandeur peut, s'il le préfère, déférer le serment nécessaire et terminer ainsi le débat sans aller devant le juge 5 [JUSJURANDUM, p. 773, n. 29-31]. Sous l'Empire, on n'exige plus rigoureusement que le défendeur soit à la fois propriétaire et possesseur : le possesseur de bonne ou de mauvaise foi est passible de l'action noxale 6. L'usufruitier, le créancier hypothécaire d'un esclave peuvent également défendre à l'action noxale pour la conservation de leurs droits La troisième condition a été introduite pour une raison d'équité : le maître d'un esclave en fuite ou qui a quitté le pays n'est pas tenu de répondre à l'action noxale 5; mais la victime conserve le droit de se faire attribuer l'esclave par le magistrat, si elle parvient à le retrouver. Dans deux cas, cette condition est écartée, pour le délit de la loi Aquilia9, et pour les vols avec ou sans violence, commis par les personnes libres ou les esclaves au service des publicains i0 : le maître est ici passible de l'action noxale, alors même qu'il n'a pas l'esclave en sa possession. III. Objet de l'action noxale. En général, le chef de famille a le choix entre deux partis : livrer l'auteur du délit ou payer une indemnité à la victime, d'après l'estimation faite par le juge. S'il opte pour le premier, il ne lui suffit pas de délaisser l'auteur du délit, il doit transférer son droit de puissance à la victime", manciper l'esclave ou le fils de famille. L'effet de la mancipation varie suivant qu'elle s'applique à l'un ou à l'autre : sur l'esclave, elle confère un droit perpétuel, la propriété ; sur le fils de famille, elle ne confère qu'un droit temporaire, le rnancipium 12. Cette différence dans l'effet de l'abandon noxal tient à ce que le fils de famille est citoyen et reste sous la protection du censeur : ce magistrat prescrira à la victime de l'affranchir, lorsque par son VII. travail il aura fourni une satisfaction équivalente au préjudice causé 13 La différence qui précède a été supprimée par Justinien : l'abandon noxal de l'esclave n'a qu'un effet temporaire; il prend fin lorsque l'esclave a, par son travail, réparé le dommage 1* [ACTIO, L I", p. 56]. L'obligation de livrer l'auteur du délit ou de payer l'estimation du litige, souffre une restriction dans le cas où un vol a été commis par plusieurs esclaves appartenant au même maître : le demandeur ne peut obtenir par l'action noxale plus qu'il n'aurait si le vol eût été commis par un homme libre, soit le double ou le quadruple de la valeur de l'objet volé. C'est un tempérament d'équité introduit par le Préteur : un propriétaire pourrait être ruiné s'il était obligé de faire l'abandon noxal de tous ses esclaves ou de payer l'estimation du litige pour chacun d'eux 15. Mais, pour jouir de cette faveur, il faut que le vol ait eu lieu à son insu 16. La disposition de l'édit a été étendue par la jurisprudence au délit prévu par la loi Aquilia". A l'inverse, il y a deux cas où l'alternative accordée au chef de famille est plus large que d'après le droit commun : en matière d'injures et dans le cas du délit de la loi Plaotoria, le maître peut, s'il le préfère, livrer son esclave pour être battu de verges 1 e. Dans tous les cas, l'obligation imposée au chef de famille ne lui incombe pas personnellement : il n'est tenu que propter rem, par application de la règle noxa caput sequitur 19. Cette règle entraîne plusieurs conséquences : 1° Si l'auteur du délit est vendu ou passe dans une autre famille par l'effet de la 7nanabs ou de l'adoption, le chef de famille qui l'avait sous sa puissance au moment où le délit a été commis n'est plus obligé 20 ; l'action noxale doit être exercée contre le nouveau chef de famille du délinquant. 2° Le citoyen sui juris qui se donne en adrogation ou devient esclave après avoir cornmis un délit, ne peut plus être poursuivi par une action directe : son père adoptif ou son maître sera passible d'une action noxale. La capitis deminutio n'éteint pas les dettes délictuelles 21. 3° Si l'esclave auteur du délit est affranchi, c'est lui qui doit être poursuivi et non son ancien maître. L'action cesse d'être noxale; elle devient directe. Il en est de même pour un fils de famille émancipé depuis qu'il a commis le délit 22. 14° Si l'auteur du délit vient à mourir, le chef de famille est libéré par la remise du cadavre, ou même d'une partie du corps, comme nous l'apprend la paraphrase des Institutes de Gaius, découverte en 1898, à Autun 23. IV. Sanction. Lorsque le chef de famille refuse de défendre l'esclave auteur du délit, la victime peut demander au magistrat l'autorisation d'emmener le délinquant24. Elle peut même exiger l'abandon noxal, lorsque le délinquant est sous la puissance du chef de famille25. Le décret d'abductio ne confère que la propriété prétorienne (in bonis) 26, mais cette propriété est susceptible 15 NOX 1.1h NOX de se transformer en propriété quiritaire par l'effet de l'usucapion, même si l'acquéreur sait que le possesseur actuel n'est pas propriétaire 1. La même règle s'applique lorsque le chef de famille est absent ; mais si son absence n'est pas frauduleuse, son droit n'est pas compromis : le Préteur lui accordera, après son retour, une restitution en entier ; il lui rendra la faculté de défendre à l'action noxale comme si le décret d'abductie n'était pas intervenu 2. Quand l'auteur du délit est un fils de famille, l'action est exercée contre lui à défaut de son père', et la condamnation peut être ramenée à exécution par les voies ordinaires`. V. Cas où l'action noxale est remplacée par une action directe. Le chef de famille est obligé personnellement et passible d'une action directe lorsque le délit a été commis sur son ordre, par une personne en sa puissance '. La loi Aquilia a étendu cette règle au cas où le délit a été commis sans son ordre, mais à sa connaissance s le chef de famille est en faute de n'avoir pas empêché son fils ou son esclave de commettre le délit; mais il est nécessaire qu'il ait eu la possibilité de I empêcher', L'innovation introduite par la loi Aquilia a été appliquée à toutes les actions noxales3. L'esclave, qui commet un délit sur l'ordre de son maitre, est-il personnellement obligé? Certains jurisconsultes l'ont contesté : d'après eux, l'esclave doit à son maître une obéissance passive. Si donc l'esclave est aliéné ou affranchi, on n'appliquera pas la règle no,ra capot sequitur. Julien a fait prévaloir l'opinion contraire : l'ordre du maître n'est pas une excuse pour l'esclave. Le maître sera donc passible de l'action directe et de l'action noxale'. Le chef de famille est également tenu d'une action directe lorsqu'il a cessé par dol de posséder l'auteur du délit, ou lorsqu'il a frauduleusement nié qu'il eût le délinquant en sa puissance. Dans les deux cas, l'Édit du Préteur donne à la victime le choix entre la délation du serment nécessaire et une action sans faculté d'abandon noxal °Ô, Dans les deux cas, le maître reste obligé même après l'aliénation ou l'affranchissement de l'esclave 11 VI. Action tuoxate donnée en raison du dontmayge causé par un animal. -Le propriétaire est, dans certains cas, responsable du dommage causé par ses animaux. D'après les Douze Tables, il faut que l'animal soit un quadrupède 12 Ii fallait aussi, sans doute, qu'il fût de l'espèce de ceux qui paissent en troupeaux, s'il est vrai, comme le dit un texte peut-être altéré, qu'une loi Pesolania fut nécessaire pour appliquer la règle aux dommages' causés par les chiens" [LES, p. 1158, n, 1j. La jurisprudence étendit plus tard cette règle aux dommages causés par les bipèdes 14, La victime est autorisée à poursuivre le propriétaire de l'animal par une action spéciale appelée de pauperie. Le propriétaire a le choix entre deux partis : faire l'abandon de l'animal ou réparer le dommage 1 J, En lui donnant la faculté de faire un abandon noxal, on applique le principe d'après lequel le propriétaire d'une chose qui a causé un dommage à autrui ne saurait être obligé au delà de la valeur de cette chose. Cette faveur lui est refusée lorsqu'il a mensongèrement nié que l'animal fût à lui 16, Conformément à la règle noxa capot sequitur, l'action de pauperie se donne contre celui qui est propriétaire de l'animal au moment du procès et non à l'époque où le délit a été commis". Elle s'éteint si l'animal meurt avant que le procès ne soit engagé 1S. Mais s'il meurt après, le propriétaire perd la faculté de livrer le cadavre" : en quoi sa situation diffère de celle du chef de famille dont le fils ou l'esclave a commis un délit 20. L'action peut être exercée, non seulement par le propriétaire de la chose endommagée, mais aussi par toute personne intéressée, telle qu'un commodataire ou un locataire 21. Elle peut l'être également en raison des blessures causées par l'animal à une personne libre : on estime ici les dépenses faites pour soigner le blessé et la valeur des services qu'il aurait pu rendre dans l'inter valle 22. Les jurisconsultes de la fin de la République ont restreint l'application de l'action de pauperie par une distinction : on doit rechercher sl l'acte commis par l'animal est ou non conforme à la nature de son espèce20. Cette distinction entraîne plusieurs conséquences : 1° le dommage causé par un animal sauvage ne peut donner lieu à l'action de pauperie. Si l'animal a été capturé et cause un dommage après s'être échappé, on ne peut s'en prendre à son maître : l'animal est réputé avoir recouvré sa liberté naturelle; il n'a plus de maitre24 ; 2° le dommage causé par un animal domestique (chien, boeuf, cheval, mulet) donne lieu en général à l'action de pauperie. On n'a pas à se méfier de ces animaux. S'ils sont méchants, leur propriétaire est responsable du dommage qu'ils causent : c'est par exemple un boeuf qui a L'habitude de donner des coups de corne, un cheval ou un mulet qui lance des ruades '. Mais l'action n'est plus recevable si le dommage est imputable à une faute soit du conducteur de l'animal, soit d'un tiers La victime a dans ce cas l'action de la loi Aquilia contre l'auteur véritable du délit27, ou faction proposée par l'édit des Édiles de ferts2t. Lorsque le dommage a été causé par un animal excité par un autre, l'action de pauperie est donnée contre le propriétaire de celui-ci 2B. Si deux animaux se battent et que l'un d'eux soit tué par l'autre, l'action est donnée contre le propriétaire de celui qui a provoqué l'autre, à moins que cet animal ne soit celui qui a péri 30. Enfin si l'animal qui a causé un dommage vient à être tué par un tiers, au cours du procès intenté par la victime, son maître, qui ne peut plus faire l'abandon noxal, se fera indemniser en exerçant l'action de la foi Aquilia contre le tiers, ou bien il cédera son action à la victime du dommage a1 Certains auteurs considèrent également comme noxale l'action de pastu créée par les Douze Tables pour le cas où NUC l'on a fait paître un animal (pecus) dans le champ d'autrui au temps de la récolte'. Cette manière de voir se fonde sur un passage des Sentences de Paul qui semble distinguer trois sortes de dommages causés par un quadrupède et sanctionnés respectivement par les actions de pauperie, legis Aquiliae, de pastu2. Mais il est très douteux que le dommage, visé dans ce texte par le mot depasta, soit celui qui est réprimé par l'action de pastu, d'abord parce que cette action ne paraît avoir jamais été restreinte aux quadrupèdes, puis parce qu'elle ferait double emploi avec l'action de pauperie, et n'aurait pas de raison d'être. Les textes relatifs à la disposition des Douze Tables supposent que l'animal a été paître dans le champ d'autrui par le fait de son maître : dans ce cas, le maître est en faute, il est tenu de l'action de pastu et passible d'une peine. Dans le cas contraire, si l'animal a été paître dans le champ du voisin sans y avoir été conduit par son maître, on devra recourir à l'action de pauperie t. Cette manière de voir est confirmée par une inscription découverte en 1894°, qui contient un fragment d'un rescrit impérial du ne siècle réglementant l'exercice de l'action de pastu : il en ressort clairement que le délinquant est, non pas l'animal, mais le maître ou son préposé. Le rescrit décide, en effet, que l'esclave qui a fait paitre des brebis sur le champ d'autrui contre le gré du propriétaire et à l'insu de son maître sera puni sévèrement par le gouverneur de la province; s'il a agi par l'ordre de son maître, celui-ci devra payer une amende égale à la valeur de l'esclave augmentée de 500 deniers'. ÉDOUARD Cro.